Mediapart a publié le 28 octobre trois articles sur la situation de la communauté musulmane française. L’un d’entre eux – “Lutte contre le séparatisme : un an de chasse aux sorcières” – requiert notre attention. Il couvre, entre autres, les dissolutions ordonnées par le gouvernement depuis octobre 2020 en expliquant les motifs et les conséquences de celles-ci.
D’après Mediapart, “l’embrouille est ontologique. Elle reflète l’utilisation d’un terme – ‘séparatisme’ – que le gouvernement s’est bien gardé de définir, mais qui sert tour à tour à disqualifier les associations de défense des droits de l’homme, des islamistes radicaux, des djihadistes, des traditionalistes, des conservateurs ou des musulmans plus ou moins pratiquants dont on soupçonne quelques velléités anti-gouvernementales.“
L’article souligne à juste titre que l’ensemble de la société civile musulmane est visée par l’État par le truchement de ce détournement linguistique – le “séparatisme” ne désigne que l’Islâm puisque, selon l’État, les comportements islamiques orthodoxes mènent au “séparatisme” – et met en évidence certaines violations flagrantes de droits fondamentaux auxquels les musulmans français – y compris leurs enfants – sont confrontés du fait de la politique publique “anti-séparatiste” mise en place par le gouvernement :
“Ainsi, c’est toute une société civile qui fait les frais de cette offensive qui lui est presque exclusivement destinée. Et qui semble se dérouler dans une indifférence toujours plus grande de la part du reste du pays.”
(…)
“Des enfants [sont] arrêtés aux premières heures du matin parce qu’ils sont soupçonnés de terrorisme et placés en garde à vue pendant plusieurs heures (parfois menottés) avant d’être rendus à leurs parents sans procédure judiciaire.”
(…)
“Des imams ont également été réveillés à l’aube pour des perquisitions administratives qui, là encore, n’ont débouché sur aucune enquête.“
Par ailleurs, l’enquête de Mediapart dévoile la création d’un nouveau bureau administratif qui facilitera l’exécution de cette politique antimusulmane :
“Les services de Gérald Darmanin travaillent en effet à la mise sur pied d’une nouvelle entité: le «BI2A».
(…)
présenté par la Place Beauvau comme un méga “parquet administratif”.
(…)
Sa mission ? Produire et organiser de manière «proactive» les «mesures de fermeture de lieux de culte et de dissolution d’associations»,mais aussi «les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, les gels des avoirs et les interdictions de sortie du territoire». En clair: tout piloter d’en haut et accroître encore les pouvoirs du ministère de
l’intérieur.”
Le travail de Mediapart est à saluer à l’heure où il ne reste presque plus aucun espace où dénoncer l’oppression dont sont victimes les musulmans français.
Les détails manqués de la campagne “anti-séparatiste”
La contribution de Mediapart, bien que solide, omet certains points importants qui prouvent la réalité d’une persécution islamophobe menée par l’État.
Tout d’abord, l’article suggère que la campagne ” anti-séparatiste ” du gouvernement a commencé en octobre 2020 à la suite du désormais tristement célèbre discours des Mureaux d’Emmanuel Macron. Le Président y identifiait pour la première fois le “séparatisme islamiste” comme étant l’ennemi à combattre. C’est lors de ce discours que l’expression est adoubée. Cependant, les lignes directrices annoncées n’étaient que la continuation d’une politique publique déjà existante – l’’”entrave systématique” – qui a débuté à sa demande dans le plus grand secret en février 2018.
Ensuite, l’article accuse Gérald Darmanin d’avoir “maquillé ses chiffres” en présentant fallacieusement les contrôles d’hygiène et de sécurité comme des opérations liées à la politique “antiséparatiste” :
“La manœuvre consiste à faire passer les contrôles liés aux questions d’ordre sanitaire ou de sécurité des locaux pour des opérations en lien avec la lutte contre l’islam radical.“
Il s’agit pourtant d’une caractéristique fondamentale de cette politique publique. Afin d’harceler et de persécuter l’ensemble de la société civile musulmane, le gouvernement ne s’appuie pas exclusivement sur la législation antiterroriste. Il utilise l’ensemble du droit pour justifier la fermeture de toute mosquée, école, organisation ou entreprise dirigée par un musulman.
Cette stratégie fait écho à la politique utilisée par le gouvernement américain contre le crime organisé (celle-là même qui permit l’arrestation d’Al Capone) : utiliser n’importe quel texte de loi pour exercer une pression et justifier une sanction. Elle s’aligne également sur le virage opéré par l’actuelle ministre britannique de l’intérieur, Priti Patel, vers un recours accru aux pouvoirs de sanction civile pour cibler les organisations qualifiées d'”extrémistes”. La mécanique de cette stratégie a été décrite par l’ancien ministre de l’Intérieur Christophe Castaner dans un discours aux préfets prononcé en Novembre 2019 :
“Dès qu’il existe des doutes sur un lieu ou sur une association, je vous demande de ne pas hésiter à réaliser des inspections, des contrôles. Et si des manquements sont établis, je vous demande de décider des fermetures administratives sans hésiter.
(…)
Il peut s’agir de contrôle de la réglementation en matière d’établissement recevant du public ou d’hygiène, de contrôle de la réglementation des activités sportives, de contrôle de la réglementation de l’accueil des mineurs ou de lutte contre les fraudes.
Toutes les options vous sont ouvertes et je compte sur vous pour mener ces opérations.”
Afin de décrire cette stratégie, l’ancien Ministre de l’Intérieur a employé l’expression “entrave systématique” le 12 février 2020 lors d’une audition parlementaire. Le terme d’ “entrave” est également employé dans la circulaire publique émise par le Premier ministre en juin 2021 qui décrit le “pilier régalien” de la stratégie anti-séparatiste, laquelle se fonde sur une politique d'”entrave“.
CAGE examine cette politique publique depuis des mois et a publié une série d’articles et d’infographies exposant l'”entrave systématique“.
CAGE publiera un rapport détaillant l’état actuel de la communauté musulmane française. Y seront décrits plus en détail la réalité et les mécanismes de l’actuelle persécution islamophobe.
Image courtesy of Wikimedia/Jebulon
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